Les Croqueurs font revivre les belles pommes oubliées

4 mars 2017 / Camille Archambault (Reporterre)

 

 

 
Les Croqueurs font revivre les belles pommes oubliées

Une trentaine de variétés de pommes sont cultivées à grande échelle en France, alors qu’il en existe des centaines. Pour prévenir la disparition du patrimoine fruitier, l’association les Croqueurs de pommes multiplie les rencontres, notamment les « bourses aux greffons ».

  • Jupilles (Sarthe), reportage

La bruine et la brume recouvrent la majestueuse forêt de Bercé, qui s’étend sur 5.400 hectares dans le sud du département de la Sarthe. Quelques villages nichent au cœur de cette étendue, tel Jupilles, 500 habitants. Dimanche 26 février, une agitation peu commune se ressent dès l’entrée du bourg. Des panneaux colorés « bourse aux greffons » accueillent joyeusement l’arrivant. Il n’est pas encore 9 h et le parking de la salle des fêtes est déjà à moitié occupé.

André Perocheau et ses amis des Croqueurs de pommes locaux sont aux manettes depuis 8 h. Ils attendent 400 à 500 visiteurs au fil de la journée. « Certains sont déjà là alors que nous débutons à 10 h. On a disposé les greffons, les porte-greffe et notre atelier pour réaliser les greffes. Tout est prêt », sourit André, le président.

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Après avoir taillé le greffon, il reste à l’attacher au porte-greffe à l’aide d’un élastique arboricole. Une cire est ensuite appliquée pour protéger des intempéries.

Aujourd’hui, c’est la quatrième et dernière bourse aux greffons de l’année dans le département. Et toujours un succès. « La dernière fois, on a commencé à greffer à 10 h et on n’a pas levé le nez avant 17 h ! » s’exclame, ravi, Laurent, un bénévole. L’engouement pour ces bourses repose, selon les Croqueurs, sur un principe simple. « Les gens en ont marre de manger des pommes sans goût et pleines de pesticides. C’est du poison ! Ils veulent retrouver les saveurs d’antan », dit Jacques, bénévole convaincu. Ou Geneviève, Croqueuse de pommes également : « J’ai horreur de manger de l’eau avec du sucre ! »

« Les arbres correspondent à un terroir et à un climat » 

À Jupilles, les consommateurs ne trouveront pas les quelques variétés cultivées pour la grande distribution. Mais de vieilles espèces locales oubliées de pommes, poires, prunes et cerises. Reinette du Mans, poire de curé, pomme de jaune, bouet de Bonnétable, clocharde, cul d’oison vert… Les histoires que racontent ces noms se sont perdues. Geneviève croit connaître celle de la pomme cimetière. « À l’époque, on plantait des pommiers devant les cimetières. Comme ça, on pouvait boulotter en attendant le macchabée ! »

10 h pétantes. Des dizaines de personnes se pressent déjà dans la salle des fêtes. Certaines n’ont pas hésité à faire 60 ou 100 km pour cet événement. Parmi elles, des habitués. « J’ai déjà des dizaines de variétés de pommiers sur mon terrain, explique une jeune femme. Je viens tous les ans pour en découvrir de nouvelles. » Jacques lui propose la martrange, une pomme à couteau de couleur rouge cultivée dans les années 1950 en vallée du Loir. « On la destinait aux Allemands, ils aiment cette belle couleur rouge. Cette espèce disparaît maintenant. »

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Des centaines de personnes défilent aux bourses aux greffons des Croqueurs de pommes.

Non loin, une dizaine de greffons à la main, Jean-Charles vient pour la première fois. Il est très attentif aux explications de Laurent, qui œuvre à l’atelier de greffe. « J’ai un grand terrain, mais mes arbres sont malades. Ces greffons vont permettre de renouveler mes pommiers et de perpétuer la tradition ! »

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Jean-Charles découvre la greffe grâce aux explications de Laurent, bénévole.

Bénévoles ou consommateurs, ils recherchent tous cela. L’authenticité d’une consommation familiale, respectueuse des hommes et de la terre. « Les arbres correspondent à un terroir et à un climat », rappelle André Perocheau. « Nos ancêtres trouvaient un arbre qui leur plaisait. Ils en prenaient les greffons puis les plantaient chez eux. » Tout a été bouleversé après-guerre avec la motorisation. Les campagnes ont vu leurs habitants migrer vers les villes. D’immenses vergers ont remplacé les parcelles familiales. La grande consommation s’est étendue. Il fallait nourrir les urbains.

La golden (États-Unis), la granny smith (Australie), la gala (Nouvelle-Zélande) 

Alors, « des variétés de pommes ont été importées ». Aujourd’hui, on ne connaît qu’elles : la golden (États-Unis), la granny smith (Australie), la gala (Nouvelle-Zélande)… « Mais ce n’est pas le même climat, pas le même terroir. Alors les fruits sont traités préventivement avec des dizaines de pesticides. » Ils doivent être calibrés et se conserver très longtemps. L’apparence prévaut aujourd’hui sur le goût.

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Les Croqueurs ont planté 400 arbres au verger conservatoire de Jupilles.

En France, les arboriculteurs professionnels ne cultivent à grande échelle qu’une trentaine de variétés. Peu, au vu de la diversité fruitière. Pour exemple, en Sarthe, les Croqueurs de pommes recensent une cinquantaine de variétés locales. Les professionnels sont conscients de l’engouement des consommateurs pour des fruits issus de l’agriculture raisonnée. D’ailleurs, la profession est bousculée et doit se réinventer face aux nouvelles pratiques des consommateurs.

Cependant, seuls les fruits inscrits au catalogue officiel des espèces et variétés peuvent être commercialisés. Les amateurs peuvent en cultiver d’autres, mais juste pour leur propre consommation.

« Si le soleil donne le goût, la lune donne la couleur ! » 

Et les Croqueurs ne se sont pas gênés. La branche locale de l’association a été créée en 1991 et un verger conservatoire a été construit à Jupilles trois ans plus tard. En Sarthe, on compte près de 140 arboriculteurs professionnels. Alors, « on a un peu fait office de rigolos au début », se souvient André. Mais aujourd’hui, le verger de Jupilles compte 400 arbres et 250 espèces de pommes, poires, prunes, cerises et nèfles. Parmi ces variétés, une cinquantaine ont été sauvées par l’association. La plus récente, c’est une espèce de cerise : la guigne du Mans. Elle avait été abandonnée, car elle se détériore rapidement. « Un collègue avait ça chez lui. Nous l’avons identifiée puis intégrée au verger. »

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Le verger conservatoire de Jupilles.

Pendant que certains regardent leurs greffons se faire emmailloter d’élastique et de cire, d’autres se dirigent vers le verger. Là, le Croqueur Roger Pinault réalise une démonstration de taille des arbres. Une dizaine de personnes suivent ses conseils avisés. « Il ne faut pas que les branches se touchent. Les oiseaux doivent pouvoir passer. Surtout, laissez entrer la lumière par le centre de l’arbre. Et n’oubliez pas la règle : si le soleil donne le goût, la lune donne la couleur ! »

Serge et Jacky sont venus du nord de la Sarthe pour suivre cette démonstration. « Ce n’est pas si simple, un arbre. Ça ne pousse pas tout seul, en fait ! s’exclame Jacky. Il faut réussir la greffe, la plantation, puis la taille. » Serge, lui, a 30 arbres sur son terrain. Des cerisiers, des abricotiers et des pommiers. « Ces variétés locales se conservent très bien. Je ne les mets pas au frigo et les fruits se gardent de septembre à avril sans problème. Mais pour cela, il faut bien réussir sa taille chaque année. » Roger a conquis son auditoire et prend date. En septembre, les Croqueurs de pommes organisent une grande vente au verger de Jupilles. Chacun amènera son sac et cueillera ce qu’il veut. À 1 € le kilo. Moins cher, et meilleur.